Avril 2016 en Chine / Musique

Je voudrais essayer de définir en quelques mots, musicalement, le contenu de notre projet de réflexion et de collaboration avec le théâtre Liyuan à Quanzhou, projet porté par Patrick Sommier. En fait, il s’agit, et ce malgré mon énorme admiration et affection pour Isaac Stern, de faire quasiment le contraire de ce qu’il a présenté dans le – par ailleurs très beau – film : « De Mao à Mozart ».

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Mais heureusement, trente ans ont passé et le temps a permis de changer la pensée sur le problème du dialogue musical ou même interculturel.

Il ne s’agit surtout pas d’initier les musiciens chinois à la musique occidentale, et d’ailleurs même pas de nous initier nous-mêmes à la musique chinoise. En tout cas pas dans le sens de faire semblant de nous transformer en musiciens chinois capables de jouer cette musique, parfaitement conscients des modes utilisés, des rythmes, des micro-intervalles, etc. Pour aller vite, il ne s’agit surtout pas de faire de la world music, ou chacun fait semblant d’être l’autre sans jamais y arriver. Par contre, il s’agit d’une rencontre, et dans une rencontre normale, on s’intéresse à l’autre, on lui demande ce qu’il aime, on cherche à comprendre (et même intelligemment) ce qu’il fait, ce qui ne veut pas dire imiter.

Il s’agira donc d’un travail éminemment empirique, d’écoutes respectives, de découvertes, de tentatives de comprendre les modes d’improvisation et surtout les modes rythmiques, dans ce cas souvent immuables sans être répétitifs. De toute évidence, cette liberté rythmique vient avant tout d’une certaine façon d’accompagner en la soutenant l’action théâtrale, voire la gestique de chaque acteur, ce qui implique une disponibilité musicale afin d’appuyer chaque événement (un peu comme certaines musiques de cinéma muet), tout en créant une musique très construite (et qui semble immuable), qui donne sa couleur au spectacle.

À l’écoute, l’aspect rythmique m’a donc paru essentiel. Par définition, il ne s’agit pas de musique harmonique, tous les instruments jouant la même ligne mélodique mais chacun avec son timbre ; comme si le rythme faisait fonction de polyphonie. Par ailleurs, il s’agit quasiment d’une partition orale : partiellement écrite, mais aussi précise qu’une partition, un peu comme certains musiciens de jazz qui parlent d’improvisation mais qui à force de jouer ensemble ont pratiquement une partition dans la tête. C’est pourquoi, j’ai pensé, et ceci sans exclusive (même si ça peut paraître banal), qu’il serait important de partager aussi ensemble, non seulement la musique de Bach, mais surtout un certain répertoire contemporain : Cage (surtout les œuvres de la fin de sa vie), Yoshida (compositeur japonais), Sciarrino, pape de la musique spectrale, représentant cette sorte d’immuabilité minimaliste, Maïguashca, compositeur équatorien, habitant en les restructurant les formules rythmiques répétitives de la musique traditionnelle équatorienne.

De toute évidence, une des spécificités du théâtre Liyuan est d’intégrer des formes de modernité dans des codes théâtraux pourtant traditionnels, ce qui nous permet de façon peut-être plus justifiée de rendre compte des évolutions des vocabulaires dans la musique classique occidentale. 

Notre travail sera purement empirique, fait de tâtonnements progressifs en action.

Je dois dire que j’ai beaucoup pratiqué la musique contemporaine à une époque (groupe Itinéraire, 2e2m, etc.), mais surtout beaucoup de créations personnelles (Sciarrino, Cage, Stroé, Yoshida, Crumb, etc.). De plus, j’ai beaucoup joué avec Kudsi Erguner, maître du ney turc, qui m’a initié aux modes orientaux et m’a donc permis d’envisager concrètement la participation à une musique modale, a priori « étrangère » à ma culture. Qu’on le veuille ou pas, la musique contemporaine occidentale vit une période de questionnement. D’un côté poussée à un retour à un néo-classicisme néo-tonal par difficulté à aller de l’avant, de l’autre parfois attirée par des pratiques improvisatoires instrumentales ou néo-électroniques qu’elle ne domine pas si bien.

J’espère donc que, très modestement, cette rencontre débouchera sur une réflexion et une écriture d’œuvre contemporaine, mais inspirée, visitée, « arrosée » par la musique du Nanyin.

 

J’espère que toutes ces « concordances » seront fructueuses !

Ami Flammer

12 janvier 2016, Paris

Chine
Samedi 2 avril 2016 h
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