Le Projet ADN : l'Art des Nations en Russie et en Chine.

En Chine

Le théâtre tel que nous le concevons en France et en Europe a une autre patrie : la Chine. 

À la fin du 13ème siècle, sous la dynastie mongole des Yuan, le théâtre-opéra chinois se structure à partir d’un syncrétisme né du grand enchevêtrement des formes, des  langues, des cultures régionales, religieuses et profanes, populaires et savantes. On connaît en Europe le Kunqu né vers l’an 1500 et le Jingju (opéra de Pékin) qui date de 1800. 

À partir de 1949 et de l’avènement de la République Populaire de Chine, le théâtre a une histoire mouvementée. En 1952, l’Etat lui donne un statut, des locaux, de l’argent. De 1966 à 1976, (la Révolution Culturelle) il est interdit. En 1978, la NPE de Deng Xiaoping le relance. Au cours des Années 90 et 2000, l’ouverture à la consommation (et cinq cent chaînes de tv) éloigne le public d’un théâtre dont les universaux n’ont pas été transmis aux jeunes générations. Il y a aujourd’hui, à Pékin notamment, un risque de muséification de l’héritage.   

Le théâtre reste néanmoins fort dans les provinces (Fujian, Sichuan, Jiangxi, Jiangsu, Guangdong, Zhejiang, Anhui, etc.). Dans les campagnes, il continue d’être associé aux célébrations religieuses et familiales (inauguration d’un temple, mariage, récoltes). 

Le  huaju (théâtre parlé d’inspiration occidentale) avance lentement. Le grand metteur en scène  Lin Zhaohua (la Maison de Thé de Lao she) va vers ses 80 ans et si on voit se succéder des générations d’excellents acteurs, en revanche peu de metteurs en scène à l’horizon. 

Le Liyuanxi, à Quanzhou dans le Fujian (sud-est de la Chine) est dirigé par une des plus grandes comédiennes de Chine, Zeng Jingping. Dans le panorama du théâtre classique  chinois, le Liyuan est un des rares à créer un théâtre contemporain en adaptant  les textes anciens. Une ou deux fois l’an, pour la fête des lanternes par exemple, le public vient de toute la Chine et de Taiwan pour assister aux dix jours de répertoire donnés par la compagnie.

Zeng Jingping, fait partie de ces artistes fondateurs qui révolutionnent l’art théâtral par leur vision et leur talent – comme le fit pour l’opéra de Pékin, Mei Lanfang, qui, lors de ses tournées dans les Années 30, fut célébré par Brecht, Eisenstein, Stanislavski et Chaplin. 

En Russie

Dans l’Europe, la Russie, en Asie ? Le théâtre russe émerge au milieu du 18e siècle quand on construit le premier théâtre impérial à Iaroslav. Mais c’est au début du 19ème grâce à Pouchkine (Boris Godounov, Eugene Onéguine) et à Gogol (Révizor, la Noce) qu’il devient vraiment Russe. 

Avec Stanislavski et Meyerhold, le 20e siècle russe sera pour le monde une formidable avancée. Le premier met en scène Tchekhov et Gorki, le second Maïakovski et Erdmann. De cette saga puissante, tragique, hors normes, du 20e siècle russe, naitront des auteurs joués dans le monde entier, des théâtres légendaires (la Taganka, le Théâtre d’Art), des metteurs en scène illustres, disparus ou vivants et les meilleures écoles de théâtre au monde. L’école du Théâtre d’Art, l’école Choukine du Théâtre Vakhtangov notamment.

Entrer en Russie et en Chine

Les portes du théâtre russe et chinois sont longtemps restés closes. Et de tout ce qui est inaccessible et secret, le mythe s’empare. Puis les portes s’ouvrent mais le monde a  changé. On referme les portes sans avoir vraiment cherché à savoir. Sans prendre le temps.  

L’histoire et la pensée russes sont bien plus familières aux Français que celles de la Chine. 

S’il n’est pas difficile d’apprendre la liste des dynasties et des empereurs, il est plus compliqué  de trouver la porte d’entrée de la pensée chinoise (Confucianisme Bouddhisme Taoïsme - Mozi - Légisme). Ça prend du temps. 

Le comédien chinois  entretient avec le théâtre une relation aussi mystique qu’utilitaire voire prosaïque : le directeur d’un théâtre au Fujian : « je travaillais dans les champs, ils embauchaient au Puxianxi, je me suis présenté, il y avait un peu plus de légumes et parfois de la viande ». Dans le théâtre du Liyuan, l’autel de Tian Gong, le dieu du théâtre, où brûle en permanence de l’encens est contigu au bureau du secrétaire du Parti. 

En Russie, le théâtre est aristocrate. Le Bolchoï de Moscou et de Saint-Pétersbourg, le Vakhtangov, le Maly, de Moscou, l’Alexandrinski, le Mariinski, le Théâtre d’Art…  sont des palais baroques ou art nouveau.  On les a baptisés des noms d’écrivains célèbres, d’illustres interprètes, de légende de la mise en scène. À Moscou et à Saint-Pétersbourg, on trouve une station de métro « Teatralnaïa »  (rue ou place des théâtres). En Russie, le théâtre n’est pas seulement une institution, il est profondément ancré dans la langue, dans l’histoire, dans le goût du tragique et de la démesure. 

Dans un théâtre russe, il y a une troupe, acteurs, musiciens, techniciens, dramaturges, décorateurs, il y a une école, des professeurs, il y a aussi une cantine, une infirmerie avec un médecin. On joue le répertoire. Le temps habite ces théâtres. 

Dans un théâtre chinois, il y a une troupe, une école, un orchestre, des ateliers de coiffes et de costumes ; on y vit chaque jour de l’année, en  célébrant les dieux du calendrier, les fêtes du printemps et de la mie-automne. C’est un théâtre habité. 
 
Qu’il soit russe, français ou chinois, le théâtre est un miroir qui nous renvoie l’image de ce que nous sommes avec nos qualités, nos faiblesses, nos désirs, tout ce qui nous rend riche… et pauvre. Tout ce que nous possédons et que les autres ignorent et ce qu’ils possèdent et qui nous émerveille. 

Un être humain sur cinq sur la planète est chinois. Et on ne peut tout simplement pas ignorer la culture et l’histoire de la Chine. 

De la Russie, Heiner Müller écrivait « ce n’est pas l’hiver qui a vaincu les armées de Napoléon ou d’Hitler, c’est le temps ; d’ailleurs, quand vous entrez en Russie, vous entrez sur un autre rail de temps ». Le « temps russe » échappe au rapidement consommable et c’est bien pour le théâtre et la littérature. 

Travailler dans un théâtre en Chine et en Russie

Échanger, c’est se présenter, dire qui l’on est, montrer patte blanche, expliquer le regard qu’on porte sur les choses, l’écho que retient l’oreille. Échanger, ce n’est pas enfiler une saharienne d’anthropologue pour porter la bonne nouvelle de la culture française. S’il y a d’excellentes raisons de la célébrer et de la partager, il importe de savoir qui sont nos interlocuteurs. C’est le sens de ce projet : la rencontre, le partage, l’échange.  Pensons l’échange comme une « explication » entre gens pratiquant  dans leur société respective le théâtre, un art peu répandu. Une explication pour trouver des réponses à ce que ce « théâtre » représente dans nos sociétés aujourd’hui. 

Aux antipodes l’un de l’autre, nous voudrions identifier ce que Yves Bonnefoy appelle « le grand récit », ce réseau de fictions et de représentations par lequel une civilisation expose ce qu’elle sait, ou rêve, ou désire.   

Le théâtre Liyuan en Chine, les écoles de théâtre en Russie sont des pôles entre lesquels nous voulons agir.

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