L'Europe en pantalon

Il n’existe pas aujourd’hui dans le monde d’équivalent à cette Europe des lumières. Un petit coin de planète qui garde le cap pour l’humanité toute entière. 

Lors d’une conférence à l’Institut Nexus d’Amsterdam en 2004, George Steiner la définit ainsi :

Le poids ambigu du passé dans l’idée et dans la substance de l’Europe dérive d’une dualité primordiale. Il s’agit du double héritage d’Athènes et de Jérusalem. De cette parenté, à la fois conflictuelle et syncrétique est issue en Europe toute l’argumentation théologique, philosophique et politique, des Pères de l’Église à Léon Chestov, de Pascal à Leo Strauss. Le topos est aussi riche et urgent aujourd’hui que jamais. Être Européen c’est tenter de concilier moralement, intellectuellement et existentiellement les idéaux rivaux, les exigences, la praxis de la cité de Socrate et de celle d’Isaïe

Nous sommes un bipède à l’indicible capacité de sadisme, de férocité territoriale, d’avidité, de vulgarité et d’abjections de toutes espèces. Notre tendance au massacre, à la superstition, au matérialisme et à un égoïsme carnassier n’a pratiquement pas changé au cours de la brève histoire de notre séjour sur terre. Et pourtant ce misérable et dangereux mammifère a engendré (en Europe) trois quêtes, ou passions, ou jeux d’une dignité tout à fait transcendante. Ce sont la musique, les mathématiques et la pensée spéculative (dans laquelle j’inclus la poésie qu’on ne saurait mieux définir que comme la musique de la pensée). Radieusement inutiles, souvent profondément contraires à l’intuition, ces trois activités sont uniques aux hommes et aux femmes, et se rapprochent autant que faire se peut de l’intuition métaphorique que nous avons été en effet créés à l‘image de Dieu. 

L’Europe est en danger. Elle fait face en continu à un pilonnage économique et idéologique de l’extérieur et de l’intérieur de ses frontières. Et, parce que, génération après génération, l’usage du puissant inhibiteur de la surconsommation crée la déresponsabilisation générale.

Et face à cela, aucun récit ne lui donne une réalité, une existence, une histoire. Elle est comme le Golem (le mot signifie informe ou inachevé), cette statue d’argile qui s’anime si on écrit sur son front le EMETH (vérité) et qui retourne à l’inertie si on enlève la première le E ce qui donne METH (mort).

Ce récit, qui existe déjà par fragments dans les livres, pour peu qu’on veuille bien les ouvrir, le théâtre, la danse, la musique vont le porter sur les scènes du continent pays.

Postscriptum à tous ceux qui trouve l’Europe imparfaite et mal fichue, ce petit dialogue de Samuel Beckett dans Fin de Partie :

– Dieu a créé le monde en six jours, en six jours ! Et vous n’êtes même pas foutu de me faire un pantalon en trois mois !

– Oui mais Monsieur, regardez le monde et regardez votre pantalon.


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