Anton Tchékhov

« Tchekhov, en tant qu’artiste, ne peut être comparé aux écrivains russes précédents – à Tourgueniev, à Dostoïevski, à moi-même- ; Tchekhov a une forme qui lui est propre, comme les impressionnistes. On regarde, l’artiste étale les couleurs comme s’il ne choisissait même pas, telles qu’elles lui tombent sous la main, et comme si les coups de pinceau n’avaient aucun rapport entre eux. Mais on s’éloigne un peu, on regarde, et de l’ensemble on reçoit une impression extraordinaire : devant nous est un tableau clair, indiscutable. »

Léon Tolstoï

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Quelques années après ses débuts, placés ordinairement sous le pseudonyme d’Antocha Tchekhonte, employé le plus souvent pour ses œuvres humoristiques, Tchekhov écrivait en réponse à une amie, Lydia Avilova qui lui avait rapporté un jugement fort répandu le concernant : « Vous vous plaignez que mes héros soient tristes et sombres. Hélas ! ce n’est pas ma faute ! Cela m’arrive involontairement, lorsque j’écris, il ne me semble pas écrire sombrement ; de toute façon, travaillant, je suis toujours de bonne humeur. Et remarquez que les hommes sombres, les mélancoliques, écrivent toujours gaiement, et que ceux qui se réjouissent de la vie vous rendent mélancoliques par leurs écrits ! Il est vrai que Tchekhov voyait souvent de façon comique ce qu’il ressentait de façon tragique.

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Résolu à porter à la scène le monde de ses contes, Tchekhov chercha la forme requise par ce monde stase, d’inaction, de situations introduisant à la connaissance médiate du caractère d’un protagoniste ou de l’ensemble des événements ou non-événements qui ont contribué à le former : un tel monde exigeait une forme statique, a-dramatique, fait de moments, de pauses.

La différence, chez Tchekhov, entre les contes et le théâtre consiste dans l’atmosphère : dans les contes, c’est celle que créent autour des personnages leurs gestes, leurs paroles, leurs actes ; inversement au théâtre, c’est de l’atmosphère que les personnages reçoivent leur valeur en tant que tels, c’est elle qui détermine leur action et justifie leurs attitudes. Elle ne naît pas du néant, mais de l’état d’âme initial de l’un des personnages, qui joue, pour ainsi dire, le rôle du héros ; et à partir de ce moment initial, elle enveloppe tous les personnages, depuis le héros jusqu’au plus insignifiant.

La difficulté d’établir un rapport entre le spectateur et des personnages fort peu agissants est vaincue au moyen de cette atmosphère qui les enveloppe tous, comme il arrive dans la vie quotidienne, où les conflits ne se manifestent pas seulement comme des événements exceptionnels (le drame au sens commun du terme) mais se répercutent normalement sur la psychologie de chacun, sans que chacun pour autant s’en trouve être le héros.

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Parler, pour ses premières œuvres, d’un humour proprement dit serait chose difficile : l’autre face de cette originale manière de voir la vie ne s’y révèle pas encore ; le seul symptôme capable de la faire prévoir est la tranquillité avec laquelle l’auteur rit, comme s‘il craignait par se rire d’offenser quelque chose dont il sait la présence derrière l’objet caricaturé : l’humanité du plus misérable même de ses personnages, dans la plus ridicule même des situations. Que l’écrivain, un instant,  oublie son intention caricaturale, et aussitôt cette humanité se fait jour, l’humour remplace la caricature., des accents nouveaux se font entendre, le drame apparaît. La tendance persiste cependant longtemps, chez l’écrivain – c’est l’un de ses traits caractéristiques – à présenter même le drame sous un aspect comique ou à le faire apercevoir seulement, derrière une véritable grimace qui n’est déjà plus le rire sans être encore les larmes, ou encore, à laisser les situations réalistes les plus simples parler par elles—mêmes, si bien que là où un lecteur sourira peut-être, un autre sentira sa gorge se serrer.

 

ETTORE LO GATTO

 

Tchekhov dans HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE RUSSE des origines à nos jours

 

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