La Russie l'été
Un jour d’été dans la vie des Russes, vers 1890. Anton Tchekhov a trente ans, Ivan Bounine, de dix ans son cadet en a vingt, le peintre Isaac Levitan, ami de Tchekhov nait en cette même année 1860. Nous ne sommes ni à Moscou, ni à Petrograd, ni à la ville. Il fait chaud, c’est l’été et on oublie pour un temps le froid, la neige, l’hiver, la dureté de la vie et la violence de l’histoire.
Six récits au fil inconstant des jours*
Voilà des personnages comme on en rencontre à la belle époque, en France, en Italie … deux avoués un peu gris, un hobereau et son majordome français, les juges d’arrondissement d’un tribunal de province, deux sœurs et un peintre célèbre dans une maison au charme suranné, une datcha près d’un étang couvert de nénuphars et envahi par les moustiques et les libellules, et une jeune femme, peintre elle aussi. Et puis, la pluie, c’est la fin de l’été, deux anciens amants se retrouvent à l’automne de leur vie.
La nuit, le matin, midi, une chaude après-midi, le crépuscule qui annonce l’automne.
Deux amis éméchés viennent de faire cinq kilomètres à pieds dans le noir depuis la gare. Koziavkine promet à Laïev bons vins et bonne chère dans la datcha qu’il a achetée récemment. Las ! Koziavkine, pompette, qui ne comprend ni pourquoi son épouse ne lui ouvre pas, ni pourquoi le salon dans lequel il pénètre par la fenêtre, est rempli de poules et autres volatiles, s’aperçoit un peu tard – et il est très tard – qu’il n’est ni dans la bonne maison ni même dans le bon village….
Le matin et le copieux petit déjeuner russe. Le propriétaire Kamychev égrène comme chaque matin mille et une bêtises sur le monde. Monsieur Shampoing, précepteur Français, après avoir enseigné aux petits Kamychev les belles manières, est resté au domaine quand les enfants sont devenus lieutenants. Il doit être bien mis, se parfumer, prêter une oreille complaisante aux sornettes de Kamychev, manger, boire, dormir, ma foi, je crois que c’est tout. Ce matin-là, Kamychev s’en prend à la moutarde française.
Le tribunal de la petite ville de X… a clôt la séance du matin. Les juges sont réunis dans une salle en attendant que le Président ait fini de consigner par écrit les débats du jour. Il fait chaud et l’estomac gargouille… il est près de quinze heures et personne n’a encore déjeuné. Le secrétaire de séance Jiline dresse un gargantuesque panorama de la cuisine Russe. « Après le rôti, l’homme rassasié, subit une délicieuse éclipse. Il éprouve alors une sensation de bien-être physique et comme un attendrissement de l’âme. Pour parfaire ce délice, vous pouvez boire jusqu’à trois verres de liqueur. »
Vers quatre heures, l’après-midi, un peintre paysagiste célèbre entre par mégarde dans une propriété inconnue de lui. Deux rangées de vieux sapins, une longue allée de tilleuls. Puis, une maison blanche avec une terrasse et une mezzanine… Deux sœurs vivent ici avec leur mère. Lyda, l’aînée, énergique et autoritaire dénonce le sort fait aux paysans et annonce les futures tragédies du siècle. Le peintre, tombe amoureux de Genia, la cadette…
Un train à l’arrêt dans une petite gare près de Koursk. Un homme se souvient de sa première histoire d’amour dans une vieille datcha où l’artiste est cette fois une jeune femme. La maison n’a plus de mezzanine, l’étang est plein de moustiques, le temps est figé.
L’été touche à sa fin. Un officier de haut rang pénètre dans une petite auberge. Une femme l’accueille. Elle le reconnaît. Ils étaient amants dans leur jeunesse. La vie a passé, comme l’été. L’automne est là avec la pluie, le souvenir, la tristesse.
* À la manière de Shen Fu