Amérique : révolution émigration

L’Europe va entrer dans une mutation majeure, aussi importante que celle que nous vivons actuellement. La révolution industrielle va bouleverser l’ordre du monde. L’Europe naturelle l’Europe romantique va s’éteindre, l’Europe d’aujourd’hui se mettre en marche. 

Le progrès de l’hygiène et de la santé, les nouvelles techniques dans l’agriculture, plusieurs décades de paix ont contribué à allonger la durée de la vie. A partir de la seconde moitié du 18ème siècle, l’espérance de vie et la natalité augmentent, créant un surplus de main d’œuvre dans les campagnes. En Angleterre, en Italie en Allemagne et ailleurs, de nouvelles lois bannissent la petite propriété et suppriment les prés communaux, ruinant nombre de paysans, les conduisant à émigrer. La loi sur les clôtures « invente » au passage la propriété privée de la terre, concept inconnu auparavant.

La révolution industrielle anglaise est au début, une révolution agricole. Le succès amer de la modernisation de l’agriculture conduit à la révolution industrielle ; On construit des hauts fourneaux pour construire des machines. Il faut absorber, stocker, conserver, transporter, transformer une production jamais atteinte jusque-là dans tous les secteurs de l’économie, le bois, le tissus, la conservation de la viande et du grain.

Innombrables sont bientôt ceux qui s’agglutinent dans les faubourgs de villes dans des conditions épouvantables (lire les caves de Lille de Victor Hugo) et créent ce nouveau prolétariat urbain.

Le coup de grâce pour l’ancienne classe paysanne vient de la machine à vapeur. Le train a bouleversé la vieille Europe continentale, l’unité allemande lui doit beaucoup. Les nouveaux bateaux à vapeur à coques d’acier embarquent des émigrés par milliers après avoir débarqué des millions de tonnes de céréales récoltés dans le nouveau monde. Ce qui entraine l’effondrement des marchés du grain et ruine des fermiers. Import de blés, export de populations.

Innombrables sont ceux qui décidèrent alors de partir

Tout au long du 19ème siècle un formidable espoir secoue l’Europe. Pour tous les peuples qui ont été écrasés, opprimés, piétinés, enchaînés, massacrés, pour les classes exploitées, affamées, décimées par les épidémies ou des années de privations et de famines, une terre promise est née : l’Amérique, une terre vierge ouverte à tous, une terre de liberté et de générosité où les laissés pour compte du Vieux Monde peuvent devenir les pionniers d’un Nouveau Monde et bâtir une société libérée de l’injustice et des préjugés. Pour les Irlandais décimés par la famine, pour les libéraux allemands persécutés de 1848, pour les nationalistes polonais écrasés en 1830, pour les Arméniens, les Grecs et les Turcs, pour tous les juifs survivants des pogroms en Russie, pour les Italiens du Sud mourants de choléra et de pauvreté par centaines de milliers, l’Amérique devint le symbole d’une vie nouvelle, d’une chance longuement attendue ; et c’est par dizaines de millions, par familles, par villages entiers que, de Hambourg, de Rotterdam, Naples, Le Havre ou Liverpool, du Pirée ou de Göteborg, que les immigrants s’embarquèrent pour un voyage sans retour. (Georges Perec Ellis Island).

En ce 19ème siècle, nombreux sont ceux qui pensent comme la gouvernante Varia dans l’acte IV de la Cerisaie « la vie dans cette maison est terminée ».  Les gens abandonnent leurs villages, leur langue, leurs vieux parents, leur pays, la maison où ils sont nés ; Ils abandonnent les goûts, les couleurs, les choses familières, leurs voisins : on n’y arrivera jamais.

Partir, quitter sa terre est un crève-cœur pour la plupart des gens ; pour un paysan c’est une douleur insupportable. Et 90% des migrants sont des gens de la terre.

Il faut tirer le fil de la grande migration des Européens des 19 et 20èmes siècles, l’histoire de l’Europe viendra avec.

La terre promise

Les bateaux à vapeur sont prêts ; le prix du ticket est bien moins cher (en 1880 un ticket pour New York coûte moins qu’un train Milan Hambourg) ; la durée de la traversée n’est plus que d’une dizaine de jours, contre dix semaines trente ans plus tôt ; des trains « rapides » à vapeur emportent au port le plus proche ceux qui, hier encore, faisaient des centaines de kilomètres à pieds.

Des prêcheurs sont engagés pour propager à tous les peuples du Vieux Monde la bonne nouvelle de la Terre Promise ; revendeurs de billets pour la traversée, agents de voyages, employés des compagnies de navigations, agents gouvernementaux américains ou européens, bonimenteurs, romanciers, journalistes.

La lettre d’un parent ou d’une connaissance que tout le village écoute en silence, convainc les sceptiques et tous chanteront l’hymne de la résurrection, du nouveau départ et de la chance retrouvée.

Les lettres sont enthousiastes (quelques-uns seulement osent écrire qu’en Amérique aussi, il y a de la misère). Le mythe se répand partout : au-delà de l’océan, il y a une terre de liberté, où les rues sont pavées d’or, où les prisons n’existent pas, où tous sont égaux, où même Dieu soutient le pauvre. Une Terre Promise où la vie est possible ; est-ce que ce n’est pas comme c’est écrit dans la Bible ?

Cent millions partirent d’Europe. Que ce serait-il passé s’ils étaient restés ?

Cette saga où interviennent révolutions et exils, massacres, épidémies et famines aboutira à la création de l’Europe où nous vivons. C’est une histoire pour le théâtre, le récit que l’Europe attend ; Pour que cette épopée de sang et d’espoir, cette odyssée dans l’ancien et le nouveau monde, où la rage de survivre et de vivre a pris le dessus sur la tragédie soit connue.

L’Europe est ce que nous sommes. Voilà un manifeste pour l’Europe.


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