Europe matin

L’Europe se lève à Rome dans une tasse de capuccino fumante sur le Gianicolo. Les grands arbres bruissent dans les cours d’immeubles de Prenzlauer Berg à Berlin. À Lisbonne, le pont du 25 Avril bourdonne au-dessus du Tage. Un homme en sabots pousse un limonaire dans les rues d’Amsterdam, les tulipes du marché Albert Cuyp ouvrent un œil méfiant sur le soleil de février.

À Budapest, le Danube gris comme l’Arno à Florence roule ses eaux vers l’Est sans se retourner. Chez Elisseev à Saint-Pétersbourg, le piano mécanique joue le Beau Danube, Bleu cette fois. La Fontanka est gelée.

Dans cette Europe du matin et du soir, nous trouvons parfaitement banal de vivre en paix.

Dans ce grand pays où le droit et la liberté ont prévalu sur la violence et l’arbitraire, chacun dispose d’une protection sanitaire et judiciaire. En sortant de chez soi, on peut acheter des croissants chauds, boire un bon café, emmener les enfants à l’école, prendre des transports collectifs, partir en vacances.

L’Europe a contribué à cette stabilité. Mais beaucoup d’entre nous ne la pensons, somme toute, que comme une société de service, une compagnie d’assurances. Ça n’a rien d’exaltant.

Si, le matin, nous n’avons aucune raison de nous demander quel temps il fait à Jönköping, Linköping ou Norrköping, nous devrions par contre, être plus nombreux à nous inquiéter des nuages à Rome, à Budapest, à Varsovie.

L’Europe est devenue un continent anonyme : plus elle se construit, moins elle existe.

L’histoire même semble l’avoir désertée, elle qui est une enfant de la guerre. Des guerres qui firent cent millions de victimes, avant qu’elle n’existe formellement et fraternellement. Nous sommes dans une fin de l’histoire ressentie.

Portons par le théâtre la musique et la danse cette Europe qui s’éveille à tous les moments du jour de la nuit : peut-être avons-nous besoin d’une reine ?


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