Histoire du théâtre russe en trois mots

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C’est dans la première moitié du XIXème siècle qu’on voit apparaître les premières écoles d’acteurs du théâtre russe. Le grand répertoire classique commence là. Ce sont  les  théâtres impériaux, l’Alexandrinsky à Saint-Pétersbourg et le Maly à Moscou qui représentent alors les deux principales écoles d’art de l’acteur qui perdureront jusqu’au XXème siècle.  A Saint-Pétersbourg prédomine l’école dite de « présentation » (rationnel) (представление) calculée, froide, non intériorisée. A Moscou, on joue l’émotion, le ressenti, émotionnel (переживание), le vécu. Le jeu est profond et passionné mais plus dépendant de l’inspiration de l’acteur.

Les principaux auteurs de l’époque, toujours joués de nos jours étaient Pouchkine, Lermontov, Gogol et Griboïedov. Pouchkine incarnait la puissance shakespearienne   avec  ses pièces en vers, Boris Godounov et son cycle de Petites Tragédies ;  Lermontov, le romantisme avec son Bal Masqué ;  Les comédies de Gogol,  le Révizor et le Mariage sont aujourd’hui encore les classiques les plus populaires ; Quant à Griboïedov, il est célèbre pour son unique pièce Du Malheur d’Avoir de l’Esprit qui est à l’origine de quantité de proverbes russes.

Le théâtre russe de la  deuxième moitié du XIXème siècle est placé sous le signe d’Alexandre Ostrovski, auteur prolixe d’une quantité de drames et comédies sur les mœurs des marchands et des fonctionnaires qui est à l’origine du théâtre réaliste et qui a contribué à former les meilleurs acteurs de l’époque.

Le théâtre du XXème siècle a commencé avant le siècle proprement dit. Au tournant du siècle, le public découvre un auteur qui incarnera à lui seul le théâtre russe dans le monde entier. Dans les Années 1890, Anton Tchekhov écrit les premières de ses plus célèbres pièces (Ivanov, la Mouette, Oncle Vania. Les Trois Sœurs et La Cerisaie datent de 1901 et 1904). Il apporte dans la dramaturgie russe « le sous texte » ce qui n’est pas dit mais compte autant que le texte; En 1898 Constantin Stanislavski et Vladimir Némirovitch-Dantchenko inaugurent le Théâtre d’Art de Moscou. Le MKhT a influencé tout le théâtre du XXème siècle. On y assiste à l’avènement du  metteur en scène qui prend le pouvoir sur l’acteur qui régnait jusque là sur le plateau. C’est là qu’est créée l’idée de « théâtre-maison » : une troupe permanente, un ensemble d’acteurs, des principes éthiques et la vision d’un théâtre qui  se donne pour mission sacrée de changer le monde.  C’est aussi au MKhT que se développe le « théâtre psychologique » dont les principes de jeu de l’acteur seront formulés plus tard  par Stanislavski dans son « système ». A partir des années 1900 un autre auteur, très important lié au  

Théâtre d’Art, Maxim Gorki, écrit des pièces au pathos anti-bourgeois qui prophétisent la révolution.

Le Théâtre d’Art dans les années d’avant la Révolution a été ouvert à de toute sorte de courants, sans craindre l’expérimentation et il n’y a donc rien d’étonnant à ce que la plupart des grands metteurs en scène de la première moitié du XXème siècle aient commencé au sein du  MKhT. Vsevolod Meyerhold révolutionna le théâtre depuis le symbolisme jusqu’au « théâtre prolétaire ». Il inventa la « biomécanique », un système d’entraînement physique pour l’acteur et mourut  fusillé dans une prison stalinienne. Evguéni Vakhtangov définissait son théâtre comme étant celui du « réalisme fantastique ». Alexandre Taïrov, créa le Théâtre Kamerni de Moscou  (Le Théâtre de Chambre, aujourd’hui Théâtre Pouchkine), quant au grand acteur (et metteur en scène)  Michael Tchekhov, neveu d’Anton Tchekhov, il développa une recherche sur la « psycho-technique » de l’acteur. C’est dans les Années Vingt que le romancier Mikhail Boulgakov commence à écrire les pièces que lui  commande du Théâtre d’Art.

Dans les Années 1910  et plus encore après la révolution, dans les Années Vingt, il avait dans le théâtre russe une multitude de nouveaux courants et les principaux artistes  de l’avant-garde collaboraient  aux  mises en scène expérimentales de l’époque.  C’est au théâtre que le futur cinéaste Serguei Eisenstein, élève de Meyerhold, fait ses premières armes. Au début des Années Trente cependant, sous la pression idéologique, tous ces courants sont interdits et de nombreux artistes accusés de formalisme subissent la répression. Le « réalisme soviétique » devient pour de nombreuses années le principe unique dans tous les domaines de l’art. Dans les théâtres, on impose une forme sommaire de la méthode Stanislavski qui freinera le développement du théâtre russe jusqu’au Dégel.

A la fin des Années Cinquante, une nouvelle ère commence alors pour le théâtre soviétique qui réagit à la nouvelle situation moins par la création de  spectacles culte que par la création de nouveaux théâtres, notamment le Sovremennik (le Contemporain) que dirige par Oleg Efremov. On y donne dans une forme néoréalisme des spectacles qui parlent de la vie quotidienne sans les mensonges et le pathos de l’ ére stalinienne. A la même époque, Georgui Tovstonogov prend la direction du BDT (Bolchoï Drama Théâtre), réunissant à Leningrad quelques uns des meilleurs comédiens du pays. Ses spectacles épiques feront de son théâtre un des plus célèbres de l’URSS. Au début des Années Soixante, Iouri Lioubimov, transforme radicalement  le vieux théâtre moscovite de la Taganka en créant avec ses jeunes acteurs un théâtre inspiré de Meyerhold qui ré-instille les prémisses d’un discours politique. A la même époque, Anatoly Efros, un des grands metteurs en scène de la deuxième moitié du XXème siècle, apprécié pour sa finesse et ses inventions de mises en scène, prend la direction du Théâtre du Komsomol Lénine (Lenkom). C’est dans ces années la qu’Alexandre Vampilov écrit ce que beaucoup considèrent comme les pièces les  plus importantes d’après guerre.

Les Années Quatre-Vingt, la fin de l’époque soviétique, restent en mémoire par une nouvelle vague de dramaturges en quête de nouveaux thèmes et héros. L’auteure la plus remarquable de ces nouvelles vagues, Ludmilla Pétrouchevskaïa écrit des pièces sensibles proche du théâtre de l’absurde. Au début de ces années la, Lev Dodine prend la direction du Maly Drama Théâtre de Leningrad. A  une inspiration tragique puissante, il allie des qualités de pédagogue qui lui permettent de former une formidable troupe d’acteurs qui fera du MDT le théâtre le plus important de la Russie d’aujourd’hui. A la fin des années 80,  Anatoli Vassiliev, metteur en scène, pédagogue et penseur théâtral ouvre  son théâtre-laboratoire «l’Ecole de l’Art dramatique». Au même moment, Piotr Fomenko crée avec ses élèves à Moscou un théâtre-atelier qui deviendra un des théâtres le plus populaires de la période post-soviétique.

Le XXIème siècle pour le théâtre russe s’affranchit de ceux qui ont fait autorité jusque la dans l’espace théâtral soviétique. De nombreux festivals se créent, des jeunes compagnies indépendantes qui se sentent à l’étroit dans le théâtre psychologique vont vers un théâtre physique, visuel, théâtre d’attractions. Apparaissent des espaces de théâtre ouverts expérimentaux qui ne possèdent pas de troupe permanente. Les jeunes dramaturges sont très appréciés. On voit naître un théâtre documentaire et social. Et, phénomène peut être le plus important, le théâtre contemporain russe n’est plus uniquement à Moscou ou Saint-Pétersbourg mais largement aussi en province.


Dina Goder

Publié le 18 juillet 2016, à Moscou

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